Veille mensuelle française et internationale de l’évaluation d’impact social n°2

LA RÉFLEXION DU MOIS 

Mieux prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux des activités humaines : une question centrale pour l’ensemble de la société

Le 28 février dernier, les 150 citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ont noté sévèrement la réponse du gouvernement à leurs 149 propositions pour permettre de « diminuer d’au moins 40 % (par rapport à 1990) les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale ». Au delà de cet événement qui  illustre l’insatisfaction des membres de cette CCC face au contenu du projet de Loi « Dérèglement climatique et résilience », il est  aussi à noter le niveau d’attente de la plupart des Français sur ces sujets, puisque selon l’IFOP, 56% d’entre eux disent aujourd’hui connaître les propositions développées. En outre, selon un autre récent sondage IFOP, ils sonti 59% à considérer la protection de l’environnement mais aussi la lutte contre le chômage (68%), l’éducation (68%), la sécurité et la lutte contre le terrorisme (68%) et la précarité (59%) comme des enjeux prioritaires, sachant que les préoccupations sanitaires, qui sont loin d’être sans lien avec les questions environnementales, arrivent largement en tête de ce classement (82%) ce qui n’a rien d’étonnant dans le contexte que nous connaissons.

Ces enjeux sont aussi passés au centre des préoccupations d’un grand nombre d’organisations privées, qu’elles soient lucratives ou non. Le Boston Consulting Group (BCG) indique ainsi dans un rapport intitulé « La vague responsable » qu’une des priorités en matière de durabilité pour les entreprises françaises consiste à « Adopter et mettre en œuvre un suivi complet des actions et résultats liés à la Responsabilité ».

Pour preuve, le Monde publie début février une tribune rédigée par les entreprises du French Impact intitulée « Il faut donner une valeur aux impacts écologiques et sociaux de l’entreprise » faisant notamment référence aux rapports du GIEC sur le réchauffement climatique et à la loi PACTE de 2019 qui introduit les notions de raison d’être et d’entreprise à mission. Les signataires de la tribune appellent de leurs vœux le développement d’une comptabilité qui prendrait en considération impacts sociaux et environnementaux dans les bilans financiers des entreprises.

Évaluer ensemble les impacts sociaux et environnementaux des activités humaines : une question complexe

La médiatisation des thématiques de lutte contre le changement climatique et de justice sociale donne ainsi un retentissement important à une question centrale pour les politiques publiques mais aussi pour l’ensemble des acteurs économiques et de la société civile : comment mieux prendre en compte l’empreinte environnementale et l’impact social de l’ensemble des activités humaines ? Et comment alors les évaluer et les restituer de manière cohérente, compréhensible et utile pour réduire l’une (l’empreinte de l’homme sur l’environnement) et maximiser l’autre (l’impact positif de l’action sociale) ? Comment enfin les comparer entre elles et potentiellement calculer des bénéfices ou des « pertes » d’ordre environnemental, social et économique (ce qui impliquerait a priori une même unité de mesure) ?

Les initiatives se sont multipliées ces dernières années pour évaluer l’un ou l’autre aspect mais peu apportent une réponse satisfaisante qui embrasse à la fois la question des impacts sociaux et celle des impacts environnementaux. Soit les approches abordent le seul aspect environnemental (Bilan Carbone®, Analyse de Cycle de Viemesure de l’empreinte écologique, etc.) et sont davantage préemptées par les entreprises lucratives, soit elles s’articulent autour de la question de l’impact social (SROI, Randomisation, etc.) et sont plutôt l’apanage d’acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire et d’entrepreneurs sociaux ou bien encore des pouvoirs publics .

Les dynamiques d’impact en matière environnementale et en matière sociale procèdent en effet de finalités et donc de logiques différentes : il s’agit dans le premier cas de minimiser l’empreinte de l’homme sur la nature, de limiter autant que faire se peut les atteintes au  capital naturel, de ralentir le changement climatique et de quantifier les émissions négatives et les réductions de ces émissions, à partir d’éléments le plus souvent objectivables(1). Dans le second cas, il s’agit de maximiser, d’améliorer l’impact social d’actions visant à répondre à des besoins sociaux peu ou pas satisfaits, d’augmenter le capital humain, d’accélérer les mécanismes de justice sociale et l’évaluation de ces effets passe souvent par des éléments subjectifs car correspondant à une certaine vision anthropologique et reposant en grande partie sur le déclaratif des bénéficiaires. 

Il est à noter cependant les efforts récents pour concilier les deux approches, sociale et environnementale. Par exemple, les travaux sur l’Analyse de Cycle de Vie sociale visent, à partir d’une méthode d’évaluation environnementale, à prendre en compte l’aspect socio-économique dans le cycle de vie d’un produit ou d’un service. Les expérimentations du J-PAL dirigé par Esther Duflo en matière d’essais randomisés contrôlés s’appliquent aussi bien à des politiques d’action sociale qu’à celles relatives à l’environnement et à l’énergie. Les connexions pensées par Acumen entre préservation de l’environnement et impact social mettent également en avant des approches transversales. Cependant, dans chacun de ces exemples, la complexité des approches proposées en a rendu difficile l’appropriation par les acteurs de « l’économie classique » comme de l’ESS, les uns par manque de hiérarchisation  et de compréhension fine des enjeux à long terme, les autres par manque de moyens financiers et humains.

Il ne s’agit donc pas simplement de développer un outil qui puisse prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux, il faut également que celui-ci soit accessible aux organisations, facile à s’approprier, utilisable de manière pérenne.

Des réponses diverses, fruits de motivations différentes

Si certains, à l’instar de notre collègue Rodolphe Durand, professeur à HEC, prédisent une convergence des acteurs sur le sujet, force est de constater que la tendance actuelle est encore à la multiplication des approches et au fourmillement des initiatives, procédant de différentes écoles.

Côté normes internationales, de nombreux référentiels se développent : GRIGlobal Compactreporting en matière d’Objectifs de Développement Durable,  ces outils  abordent la question essentiellement sous l’angle du reporting extra-financier et sont davantage plébiscitées par les grandes entreprises qui ont des enjeux à la fois réglementaires et de communication.

Côté structures privées engagées, d’autres outils voient le jour : B Impact AssessmentImpact Score… Ils valorisent les entreprises pionnières, fortement engagées vis-à-vis de leurs collaborateurs, clients, fournisseurs, communautés locales et de l’environnement, dans des démarches dépassant des minimums réglementaires. Ils présentent l’avantage d’être accessibles à des entreprises de taille intermédiaire, voire des petites structures. Deux profils se dégagent : les organisations qui ont fondé leur business model sur la recherche d’impact et celles qui ont un modèle économique plus traditionnel mais opèrent un tournant stratégique pour intégrer davantage les aspects sociaux et environnementaux au cœur de celui-ci.

Vers une approche intégrée de la valeur économique, sociale et environnementale ? Les travaux de l’Impact investing et triple-comptabilité

La question de la conciliation des intérêts financiers, sociaux et environnementaux et de leur valorisation est aussi au cœur des préoccupations des acteurs de l’impact investing, secteur en forte croissance en France selon le dernier rapport de l’Impact Invest Lab comme à l’international (+42% d’actifs en 2020 selon le GIIN). Comme leur rôle est d’investir dans des structures mues par la volonté d’avoir un impact social ou environnemental, ils contribuent fortement au questionnement sur la notion de valeur de l’impact et donc sur la manière de l’évaluer, questionnement largement soutenu par les travaux (liste non exhaustive) du GIIN, de la Harvard Business School, de Stanford, de l’Impact Management Project et de la Rockefeller Foundation outre-Atlantique, l’Impact Investing Institute au Royaume-Uni, de Better Evaluation en Australie, d’Impak Finance au Canada.  Cette réflexion a aussi lieu  en France avec  la SFAF, l’Impact Invest Lab,  France Invest et le Forum de l’Investissement Responsable qui ont publié  un rapport sur la définition de l’investissement à impact et qui précise les contours de la mesure d’impact appliquée à l’impact investing, notamment en introduisant la notion d’intentionnalité et celle d’additionnalité, financière et extra-financière dans la création de bénéfices sociaux et environnementaux.

Un certain nombre d’acteurs académiques, conscients de l’enjeu d’intégrer ces questions sociales et environnementales dans la tête des financiers et des dirigeants d’entreprise qui scrutent leurs performances, développent une approche autour d’une double ou triple comptabilité. C’est par exemple l’ambition du modèle « Comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement » (CARE) qui reprend à son compte les principes de la comptabilité traditionnelle pour l’étendre aux capitaux naturels et humains afin d’assurer le maintien des ressources environnementales et sociales utilisées ou détruites par les activités économiques. Elle a ainsi été expérimentée récemment par Fermes d’Avenir avec l’Aide du Cabinet Compta Durable. Dans cette lignée, la Chaire « Comptabilité écologique » portée par la Fondation AgroParisTech, et les Professeurs Alexandre Rambaud (AgroParisTech, CIRED, Dauphine) et Harold Levrel (AgroParisTech, CIRED), développe elle aussi des travaux autour de la comptabilité écologique en durabilité forte.

A l’international, les travaux sur une triple comptabilité promus par la Harvard Business School, avec les “Impact weighted accounts” visent à créer des états financiers qui reflètent la performance financière, sociale et environnementale des organisations et ont déjà été déclinés dans de nombreux secteurs d’activité.

Côté Économie Sociale et Solidaire, d’autres approches se développent en France, comme cette étude d’impact sur les écolieux, dans le cadre du Campus de la Transition, qui associe les deux volets de l’impact social et environnemental avec la même intensité, et utilise notamment pour le volet social l’indice Relational Capability Index, développé à l’ESSEC par Cécile Renouard et Gaël Giraud. 

Des réflexions sont également en cours sur la prise en compte des impacts environnementaux au sein du Groupe de Travail Convergences sur la Mesure d’impact social, de même qu’à l’UDES, qui a déjà contribué à la création de l’outil Valor’ESS. 

L’ambiguïté de la notion d’impact, entre performance extra-financière et réponse intentionnelle à un besoin non satisfait

A la lecture de ce panorama, il est possible de constater la très grande diversité des pratiques, qui ont le mérite d’apporter des réponses diverses aux besoins d’un certain nombre de structures. Certaines de ces pratiques ne reflètent cependant que partiellement la notion d’impact, qui suppose, dans son acception au sens strict, une causalité, un lien de cause à effet entre l’action menée par la structure et les conséquences positives ou négatives observées sur les parties prenantes visées. La majorité des outils cités proposent une approche RSE fondée sur des indicateurs extra-financiers génériques. D’autres, notamment dans l’impact investing et l’ESS, prennent en compte les impacts spécifiques de l’organisation, introduisent la notion d’intentionnalité de son action (intentionnalité qui suppose une théorie du changement de la structure ou d’un de ses programmes). Autrement dit, il s’agit, dans le cas de la plupart des approches, de bonnes pratiques accessibles (et souhaitables) à la très grande majorité des organisations. Et pour quelques unes, ils s’agit d’évaluer la valeur ajoutée particulière d’une organisation sur les aspects sociaux et environnementaux, fondée sur sa raison d’être et surtout sur la réponse à un réel besoin, social ou environnemental, peu ou pas satisfait, identifié comme tel et pour lequel une réponse spécifique a été conçue. C’est ce que rappelle ainsi l’OCDE en énonçant les critères pour de meilleures évaluations : pertinence, cohérence, efficacité, efficience, impact, viabilité et durabilité.

De ces observations, nous pouvons donc tirer à gros traits deux approches distinctes de l’impact social et environnemental, qui ne sont pas contradictoires mais ne procèdent pas des mêmes principes : l’une repose sur la notion d’impact au sens large, intégrant la performance extra-financière et les conséquences directes et indirectes, sur les dimensions sociales et environnementales de l’activité.  L’autre repose sur la notion d’impact au sens strict, prise comme finalité de l’organisation et supposant une causalité et une intentionnalité, c’est-à-dire la construction consciente d’une solution répondant à un besoin social ou environnemental peu ou pas satisfait. 

Note : Les différentes réflexions abordées ici ont pour but principal d’amorcer des réflexions et sont évidemment lacunaires. Elles font l’objet de développements approfondis dans le cadre des travaux du Labo E&MIS ESSEC.

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Note de Veille rédigée sous la direction de Thierry Sibieude par Elise Leclerc et Louis Raynaud de Lage, avec les contributions de Clara Cohade et Léo Police.

(1) Il est à noter que cette démarche s’inscrit dans la logique, très majoritaire, de soutenabilité faible ou anthropologique du développement durable, qui place l’espèce humaine au dessus des autres espèces naturelles et considère l’homme comme devant être au coeur de l’action, par opposition à la logique de soutenabilité forte qui repose sur l’idée que toutes les espèces naturelles sont égales et qu’il convient de préserver le stock de ressources naturelles, et ce même au prix de rupture radicale dans les modes de production, de consommation et même de vie des hommes sur la planète.

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